vendredi 15 juin 2012

Hôtel de la solitude



Jérôme Bourdaine, que la guerre a contraint à se fixer par hasard à Nice, s'étiole dans l'atmosphère torpide d'une ville où l'on multiplie les illusions du plaisir, en cette période d'Occupation. Le jeune homme s'est abîmé comme ses camarades dans le jeu, mais son orgueil comme sa lucidité le font aspirer à davantage de hauteur. Lorsqu'il entend parler d'un hôtel  dominant Monte-Carlo, il se décide à partir. Si le déplacement est moindre, il le mène toutefois hors du monde, hors du temps.

Au début de son séjour, placé dès le départ sous le signe du provisoire puisqu'il est accepté comme « à l'essai », Jérôme palpe l'immobilité de son lieu de retraite. L'hôtel, tenu par un couple âgé, M. et Mme Barca, n'a plus connu de jours fastueux depuis près de quinze ans, suite à une catastrophe, et les maîtres des lieux vivent dans le regret de cette époque, de leurs visiteurs élégants et bien nés, de manières qui n'ont plus cours. Pour Jérôme, M. Barca ressuscite quelques uns de ses clients et toute une chorégraphie lente et désuète, toute de gestes silencieux et d'habitudes devenues instinctives. Le jeune homme s'abandonne à cette extraction. Mais un soir, il découvre qu'il n'est plus seul à s'attabler dans la salle à manger déserte. Tout d'abord irrité que sa solitude soit troublée, Jérôme se passionne peu à peu pour la beauté surannée de Zoya Sernitch et sa présence mystérieuse. La discrétion appuyée des Barca, l'absence du mari, l'ambiance fanée de l'hôtel permettent l'éclosion de leur amour, tout à la fois précipité et suspendu.

Jérôme Bourdaine a souhaité se retirer du monde. Le roman débute alors que tout est censé s'être arrêté. Mais l'auteur, René Laporte, détaille le temps, ou plutôt les temps, les temps de trouble, les temps propres à chacun. Marqué par ses pertes successives, Zoya ne peut plus envisager que l'immédiateté : « Vous le voyez, ce temps vénéneux empoisonne même l'amour… » dit-elle, « Tout est si précaire, Jérôme. ». Lui, malgré ses vélléités de solitude, n'abandonne pas ses désirs d'absolu.
René Laporte met une place une poétique des atmosphères, pleine de langueur, et saisit avec une élégante austérité le surgissement d'un moment qui n'existe qu'à l'écart, qui ne vaut que parce qu'il ne dure ni ne s'ancre. En subsiste comme un souvenir d'une journée chaude et lourde, semblant s'étirer infiniment.

Hôtel de la solitude (première parution, 1944), René Laporte, Le dilettante

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